Si dans ton programme de français de cette année, tu as le parcours émancipations créatrices, tu dois étudier les Cahiers de Douai d’Arthur Rimbaud ; le poème « Le dormeur du val » fait donc partie de la liste des textes qui peuvent tomber à l’oral du bac de français. Alors, je t’en propose une analyse linéaire, avec quelques conseils de méthodologie.
Il y a toujours plusieurs problématiques possibles pour un même texte : pour ce poème, tu peux choisir la dénonciation de la guerre, ou bien les indices de la révélation finale tout au long du poème. Dans cette analyse, c’est la seconde problématique que je te propose.
Dans l’introduction, tu vas présenter l’auteur, puis l’œuvre, puis le texte. Ensuite, après avoir lu le poème, tu vas poser la problématique et annoncer ton plan (qui va suivre l’ordre du texte puisqu’il s’agit d’une explication linéaire).
Dans le développement, tu vas commenter le texte strophe par strophe, vers par vers, en appliquant toujours la même méthode : citer le passage, identifier les procédés littéraires utilisés par l’auteur, et proposer une interprétation en lien avec la problématique que tu as choisie.
Enfin, dans la conclusion, tu vas d’abord résumer le contenu de ton développement pour répondre à la problématique, puis proposer une ouverture (qui peut être une autre problématique possible pour le même texte, ou un rapprochement avec un autre texte, du même auteur ou non).
Durant l’été 1870, la France est en guerre contre la Prusse, et l’armée prussienne envahit le territoire (Tu peux commencer par une phrase d’accroche qui contextualise le poème et t’amène à la présentation de l’auteur). Arthur Rimbaud, un jeune poète âgé de seize ans, est un témoin direct du conflit puisqu’il vit à Charleville, dans les Ardennes, où le conflit fait rage (Quand tu présentes l’auteur, tu peux choisir de cibler ta présentation sur un aspect de sa vie en lien avec le texte étudié. Ici, parler de son expérience de la guerre franco-prussienne est pertinent, puisque le poème aborde justement ce thème). À cette époque, Rimbaud vit une vie marquée par la quête de liberté et les fugues successives, au cours desquelles il compose des poèmes qui seront réunis en 1919 dans les Cahiers de Douai ; ses poèmes d’adolescents impressionneront de nombreux auteurs contemporains et influenceront durablement les poètes des générations suivantes (Présentation de l’œuvre). Le sonnet « Le dormeur du val » fait partie de ce recueil : il décrit un jeune soldat apparemment endormi, au milieu d’une nature printanière et idyllique ; mais, dans le dernier vers, le lecteur découvre que le soldat est en réalité mort, tué par balle, victime de la guerre (Présentation du texte, qui résume brièvement son contenu et les thèmes qu’il aborde, et t’amène vers la problématique).
Lecture du texte :
C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
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Pour conduire notre explication du poème, nous nous demanderons de quelle manière Rimbaud accumule au fil du texte des indices de la révélation finale (La problématique peut être formulée sous la forme d’une question directe ou indirecte. Le plus souvent, il s’agit de se demander comment/de quelle manière/ par quels procédés l’auteur aborde un thème/fait passer un message). Nous observerons tout d’abord le cadre naturel idyllique mais ambigu présenté dans la première strophe, puis l’apparition du jeune soldat dans le deuxième quatrain. Nous verrons ensuite que la troisième strophe insiste sur le sommeil du personnage, avant que le dernier tercet ne nous invite à une relecture du poème en révélant la mort du soldat (Même si le plan est linéaire, tu dois quand même justifier le découpage choisi par le contenu de chaque partie du texte).
Dès le titre, nous pouvons relever l’ambiguïté du terme « dormeur », qui désigne apparemment un personnage endormi, mais peut aussi se lire comme l’association des deux verbes : « dort / meurt », annonçant déjà la révélation finale. Il s’agit alors d’une prolepse : le jeu de mots n’est compréhensible qu’à la deuxième lecture, quand le lecteur connaît déjà la vérité sur le soldat.
Le premier quatrain décrit le cadre dans lequel le soldat va apparaître : les champs lexicaux présents dans ces quatre premiers vers évoquent le printemps, c’est-à-dire l’idée de renaissance, de retour à la vie : « verdure », une « rivière » qui « chante », le « soleil » qui « luit », la « montagne fière », « herbes », « mousse », « rayons ». Les personnifications accentuent l’impression que la nature est idyllique et vivante : « chante une rivière » (vers 1), la « montagne fière » (vers 3).
Néanmoins, cette nature idyllique est tout de même ambiguë : dès le vers 1, la métaphore « trou de verdure » peut aussi évoquer une tombe à ciel ouvert. De plus, la strophe est rythmée par deux rejets : « des haillons / d’argent » (vers 2-3), et « de la montagne fière, / luit » (vers 3-4). Nous avons l’impression que dans ce décor qui évoque le retour à la vie, il y a un intrus, quelque chose ou quelqu’un qui est rejeté, qui ne s’intègre pas dans cette nature vivante et printanière (Tu cites les passages, puis tu nommes les procédés utilisés, que tu interprètes ensuite comme des éléments de réponse à ta problématique).
Cet intrus, c’est bien sûr le jeune soldat, qui apparaît au vers 5, « bouche ouverte, tête nue » : une posture qui évoque bien sûr la paix, la quiétude que peut éprouver une personne endormie dans ce cadre, ce qui est confirmé par les champs lexicaux : « baignant », « frais », « lit vert », « la lumière pleut ». Le rythme ternaire du vers 5 : « Un soldat jeune / bouche ouverte / tête nue » accentue cette sensation de tranquillité et d’harmonie.
Cependant, les ambiguïtés sont toujours présentes : la « bouche ouverte » du vers peut aussi avoir une connotation morbide évoquant un cadavre ; de plus, le soldat est décrit comme « pâle » au début du vers 8, cette pâleur pouvant déjà annoncer la révélation finale de sa mort. Enfin, le verbe « dort » est rejeté au début du vers 7, comme si l’hypothèse du sommeil du soldat était petit à petit écartée pour laisser place à l’annonce finale.
Le premier tercet semble insister sur le fait que le soldat est bien endormi : « il dort » (vers 9), « il fait un somme » (vers 10). Mais plus nous progressons dans le poème, plus les références à la paix et à la sérénité de la nature s’effacent, et plus les ambiguïtés sur la position du soldat s’accentuent : il a « les pieds dans les glaïeuls » (vers 9), des fleurs que l’on peut trouver sur les tombes. De plus, son sourire est tout de suite atténué par la comparaison « Souriant comme / sourirait un enfant malade » (vers 9-10). Nous pouvons d’ailleurs noter que Rimbaud utilise la rime plate « comme / somme » (vers 9-10), comme pour nous avertir que ce « somme » n’est qu’une apparence.
Enfin, la nature est de nouveau personnifiée au vers 11 sous la forme d’une adresse directe : « Nature, berce-le chaudement » ; mais cette prière est immédiatement ternie par le groupe verbal : « Il a froid ». Ce froid, qui crée une antithèse avec l’adverbe « chaudement », peut évoquer le froid de la mort, renforçant l’impression déjà laissée au vers 8 par l’adjectif « pâle ».
Dans le dernier tercet, le poème prépare la chute finale en laissant de moins en moins de doute sur la situation réelle du soldat. Le vers 12 s’ouvre sur une négation totale précisant que « les parfums ne font pas frissonner sa narine », laissant entendre qu’il ne respire plus ; par ailleurs, ce vers mêle deux assonances fricatives en « f » et en « s », dont les sonorités contrastent avec la sensation de quiétude et de fluidité des premiers vers.
Le vers 13 semble revenir à l’idée d’un sommeil paisible : « il dort dans le sommeil, la main sur sa poitrine » ; mais cette impression est tout de suite contredite par le rejet de l’adjectif « tranquille » au début du vers 14 : ce n’est pas le sommeil du soldat, mais sa poitrine qui est « tranquille », suggérant que son cœur a cessé de battre, et s’ajoutant à la négation du vers 12 pour laisser entendre que le soldat n’est pas endormi, mais bien mort.
Ainsi, lorsque la révélation finale survient dans le dernier vers, elle est exprimée sous la forme d’un euphémisme : « il a deux trous rouges au côté droit », désignant la blessure par balle. Les « deux trous rouges » répondent ainsi au « trou de verdure » du premier vers, et en explicitent le sens réel.
Si « Le dormeur du val » semble décrire un soldat paisiblement endormi dans un cadre idyllique avant de surprendre le lecteur par la révélation finale de sa mort, nous voyons donc que tout au long du poème, Rimbaud utilise des images ambiguës, des termes polysémiques et des procédés tels que la prolepse et le rejet pour préparer l’annonce du dernier vers. Ainsi, à la fin du poème, le lecteur est invité à le relire depuis le début pour réaliser que dès les premiers vers, le sort réel du soldat était déjà sous-entendu, puis peu à peu explicité (Au début de la conclusion, tu réponds à la problématique en réutilisant les interprétations que tu as données dans ton développement). Dans un autre poème des Cahiers de Douai, « Vénus Anadyomène », Rimbaud utilise un procédé similaire, détaillant petit à petit le portrait d’un personnage en scrutant de plus en plus près les détails physiques qui le caractérisent (Pour l’ouverture, tu peux proposer une autre interprétation du même poème, ou un rapprochement avec un autre texte du même auteur, comme ici, ou d’un autre écrivain).